Critiques



     Voici une série d'articles confectionnés de concert par Marie, Melen et Olivier à propos du travail de Luciano Tovoli.

Vittorio de Seta, Banditi a Orgosolo (1960)

un coup d’essai pour Luciano Tovoli : un coup de maître




Banditi a Orgosolo (1960) constitue la grande première de Luciano Tovoli dans une production cinématographique d’importance : il y est recruté en tant que chef-opérateur au sortir même de son école de cinéma. Il devient la « main droite » (expression chère à Fellini) de Vittorio de Seta, pionnier du genre documentaire, et lauréat de la Palme d'Or à Cannes.
            Malgré une approche esthétique proche de celle de la fiction, Banditi a Orgosolo s'impose dès le début comme un documentaire, en tant que reflet d'une réalité objective à travers l'histoire individuelle d'un des bergers qui survivent tant bien que mal dans la Sardaigne des années 1960. De Setta dirige avec maestria tout un casting d'acteurs non professionnels, pris in situ, au moment des faits. Michele Cossu interprète ici son propre rôle : il s'agit d'un berger orphelin qui s'est émancipé avec son petit frère. Ils mènent ensemble une vie paisible bien que rude sur les grands pâturages sardes. Son existence d’ermite se voit ébranlée le jour où il se trouve impliqué malgré lui dans un conflit armé avec les carabinieri à cause de deux brigands. Sa sédentarité rêvée devient une fuite en avant, son statut celui d'un exilé.
            L'histoire de Michele est celle d'un marginal au style de vie hétérodoxe. Ses moyens de subsistance, plus proches de ceux des chasseurs-cueilleurs que de ceux des sociétés modernes, souffrent d'un éternel décalage avec l'évolution des mœurs des autorités qui les condamnent. Ce train de vie qui répond à une logique propre – à une conception originale de la justice, du devoir, du besoin – fait de ces bergers des proscrits. L'autorité en fait des bandits.
            Filmé avec brio, Banditi a Orgosolo fait preuve d'une maîtrise du noir et blanc à couper le souffle et d'une véritable recherche cinématographique. Les abondants plans larges sur les montagnes sardes, puis le lent déroulement de l'histoire annoncent déjà les prémisses du western spaghetti (Pour une poignée de dollars de Sergio Leone verra le jour seulement quatre ans après). Le scénario, bien que travaillé, ne trahit en rien la réalité ; la fin dramatique de l'histoire ne sera pas sans rappeler à certains la morale du célèbre film du paronyme de Vittorio de Seta, Le Voleur de bicyclette.
Olivier.


Profession : reporter d'Antonioni (1975)

La photographie, signée Tovoli, est une nouvelle fois somptueuse

4ème et dernier round de notre « marathon Tovoli » : le Profession : reporter d'Antonioni. Un grand et beau film, complexe, avec un Jack Nicholson étonnant dans ce rôle de David Locke, journaliste qui profite de la mort d'un trafiquant d'armes fréquentant le même hôtel que lui pour intervertir leurs identités, se faire ainsi passer pour mort et démarrer une nouvelle vie.
La réflexion du réalisateur se porte ici sur l'identité : est-elle propre à chaque individu ? Se résume-t-elle à un simple nom et à une photo qui l'accompagne sur un papier, à une pure convention sociale ? Nos actes définissent-ils qui nous sommes ? Vastes questions, auxquelles David Locke / Robertson n'a pas la réponse, confondant lui-même le rôle qu'il joue, celui de Robertson, et l'individu qu'il n'a, au fond, jamais cessé d'être : David Locke, « the real me ». Même Rachel, sa femme, avoue à la fin du film qu'elle ne l'a « jamais connu ». 
Mais qu'est-ce qui peut bien pousser David Locke à se faire passer pour mort, à tuer sa propre identité sinon à se suicider fictivement ? Quand il regarde dans le rétroviseur, le reporter n'est pas fier. Si ces collègues le présentent comme un professionnel plein de talent, force est de constater que ce n'est pas la première impression qui traverse le spectateur. Locke, au début du film, échoue à trouver le camp militaire des opposants au régime, perdu dans un pays qu'il ne connaît pas. Le journaliste est hors des événements, les observe de loin sans y prendre réellement part (par contraste, Robertson, est bien plus ancré dans le conflit). L'interview d'un sorcier se transforme en gag : celui-ci retourne la caméra sur David Locke et lui pose lui-même les questions. Enfin, la pertinence du travail de Locke est totalement remise en cause quand il interroge le dictateur en place sans être incisif, se contenant de réponses propagandistes et erronées. Sur le plan privé, ce n'est pas mieux : sa femme, Rachel, entretient des relations avec un autre. Lassé par son métier et sa vie en général, Locke entreprend donc de fuir vers une toute autre existence. Mais la société est-elle prête à laisser l'un de ses individus échapper à son contrôle, à ses normes (la norme de l'identité par exemple, qui nous assigne un nom et une fonction qu'il faut alors remplir à vie), le laisser s'enfuir vers une liberté qu'elle ne peut offrir ? Dans Profession : reporter, ce sont moins les agents chargés d'éliminer celui qu'ils pensent être Robertson que les propres amis de David Locke qui le recherchent, le suivent, le traquent...
Film à la fois philosophique (comment ne pas voir dans le nom même de Locke une référence manifeste) et romantique, existentiel et antithèse du thriller classique, Profession : reporter frappe par sa beauté et constitue selon son auteur lui-même son « œuvre la plus aboutie sur le plan esthétique ». Si l'on exclut le fameux plan-séquence final de sept minutes qui a fait couler beaucoup d'encre, véritable prouesse technique dont Luciano Tovoli a rappelé lors de la « leçon de cinéma » qu'elle avait nécessité plus d'une semaine de tournage, beaucoup de plans imprègnent durablement nos rétines. Celui de Jack Nicholson qui vole tel un oiseau au-dessus des eaux de Barcelone depuis le téléphérique. Ou celui de Maria Schneider se penchant à l'arrière de la voiture pour admirer la route et les arbres qui défilent à toute vitesse. Tous deux, par l'absence quasi totale de son, sont animés par la même énergie, et restent à ce jour les plans les plus évocateurs de l'idée de liberté.
La photographie, signée Tovoli, est une nouvelle fois somptueuse, instaurant une continuité entre les paysages désertiques africains et espagnols. Cette aridité des paysages fait écho à l'aridité même du film ; aridité visuelle, donc, mais aussi sonore (les dialogues sont réduits au strict minimum), thématique et scénaristique (rythme lent et refus du spectaculaire), une aridité qui présente, in fine, une œuvre dégagée de tout superflu. Une œuvre réduite à l'essentiel, comme la vie que David Locke cherche à atteindre.
 Melen.


Le Général de l’armée morte : un film signé Luciano Tovoli 
(vendredi 10 octobre, 19 h, MJC Novel)
    

  Chef-opérateur de formation, le jeune Tovoli fait ses premiers pas dans le monde du cinéma lors du tournage de Bandits à Orgosolo, film de Vittorio De Seta réalisé en 1961. Après plusieurs années d’expérience auprès de grands réalisateurs italiens, il décide de réaliser son premier film, Le Général de l’armée morte, sorti en 1983 sur nos écrans. 
   Le film met en scène Marcello Mastroianni, campant le rôle d’un certain général Ariosto, et Michel Piccoli, dans la peau d’un aumônier militaire, nommé Benetandi. Une rivalité masculine naît rapidement au sein du duo lorsque la comtesse Betsy (interprétée par la très belle Anouk Aimée) prie les deux hommes de rapatrier les ossements de son défunt mari, le Colonel S., mort sur le sol albanais durant la Seconde Guerre mondiale. 
    Commence alors pour les deux hommes une période de recherche sur une terre lointaine et habitée par les souvenirs de soldats morts aux combats. Malgré ses efforts, le général Ariosto reste dans l’ombre du défunt et énigmatique colonel, que la comtesse loue en véritable héros. Le général, prisonnier de ses illusions, est tourné en dérision, comme nous le suggère, très ironiquement, le titre du film. Général bureaucrate exempté de toute participation à la Seconde Guerre mondiale, Ariosto rêve illusoirement de gloire et de reconnaissance qu’il espère trouver auprès d’une armée de soldats morts sur le sol d’Albanie. 
   Cette odyssée se révèle vite vaine pour le général et l’aumônier qui commencent à s’interroger sur le sens de leur mission… C’est finalement la question de la guerre qui est soulevée et traitée de manière grotesque. C’est par la dérision que le film s’attaque à la guerre, à ses secrets et à ses vilenies pour la démystifier complètement.
    Le film fait tomber les masques pour dévoiler les véritables visages. La légende du Colonel finit par s’effondrer : peut-être n’est-il finalement pas ce héros que décrit la comtesse. 
   Entre dérision comique et réalisme tragique, Le Général de l’armée morte compte parmi les classiques du cinéma italien. En bref, le film parvient à nous faire voyager à travers l’Histoire et les grandes plaines désertées d’Albanie. L’on reconnaît aisément la marque du chef-opérateur qu’est aussi Tovoli qui, « par sa science de l’éclairage, […] a créé le climat qu'il fallait à cette farce funèbre » qu’est Le Général de l’armée morte.
Marie.



« Mélodrame punk »

Incompresa d’Asia Argento 103’ 2014
 
Présentée dans la sélection Un Certain Regard à Cannes en mai dernier, L’Incomprise d’Asia Argento, la fille du grand Dario, nous interpelle. Le rapprochement avec L’Incompris de Luigi Comencini (1966) est inévitable ; ce dernier mettant lui aussi en lumière l’enfance, Incompresa semble alors en être la version féminine. 
Après Le livre de Jérémie (2004), Asia Argento signe à nouveau un film du point de vue de l'enfance. La jeune Aria, 9 ans, interprétée par la prometteuse Giulia Salerno, voit ses deux parents, tous deux célèbres, se séparer. Coincée dans les tourments familiaux, elle est ballotée entre sa mère, pianiste volage et instable, jouée par une Charlotte Gainsbourg étonnante, et son père, un impulsif obsédé par la superstition, interprété par une vedette italienne du petit écran, Gabriel Garko.
Asia Argento nous livre alors une œuvre personnelle et touchante aux accents punk-rock : la bande originale, les costumes et les couleurs du film, très travaillés et saturés nous plongent dans les années 80, au cœur de la débauche d’une famille désordonnée. Aria, alors abandonnée, délaissée, confrontée malgré elle à l’indépendance, promène dans les rues un sac deux fois plus gros qu’elle, son chat noir et ses petites jambes chétives sous des habits larges et bariolés. 
Malgré cet aspect mélodramatique, le film ne manque pas de ressort comique, notamment à travers le monde d’Aria : sa chambre, assaillie de posters de George Michael et autres boys bands et son journal intime, teinté de cœurs roses dessinés au gros feutre. Cependant, les acteurs qui jouent ses parents forcent le trait de leur personnage : ils sont tellement ignobles et enfantins qu’ils en deviennent absurdes, ils forment alors le ressort comique principal du film. Les scènes qui se déroulent à l’école sont également drôles et touchantes : les enfants semblent tous des clichés vivants, à l’exception d’Aria, sorte d’outsider, avec sa coupe garçonne et son style particulier, parmi tous ces stéréotypes propices aux scènes comiques. 
Des parents célèbres, un milieu instable, un prénom étrangement similaire et une enfance envolée très vite ; on ne peut pas s’empêcher de songer à l’autobiographie : mais Asia Argento nous jure le contraire. Que penser alors de ce film ? La jeune Giulia Salerno, nous attendrit par son grand regard bleu innocent pourtant confronté trop tôt au monde des adultes. Et Charlotte Gainsbourg est remarquable dans son premier rôle de « garce ». Ce film rythmé et coloré reste très touchant, même s’il ne semble pas bouleversant et qu’on peut éprouver du mal à s’identifier aux personnages, de par leur appartenance à un monde complètement méconnu et insensé. Le titre du film prend alors tout son sens : Aria reste L’Incomprise.
Camille.






Face à une double impossibilité, les souris deviennent folles.


                En Mai dernier, Antonio Morabito sort en Italie son film Il Venditore di Medicine, traduisez : Le Vendeur de Médicaments. On croirait, à première vue, qu’il s’agit de l’histoire d’un petit pharmacien italien, un petit film sympathique. Mais il n’est rien de tout cela, le sujet est grave, très grave, puisqu’il touche tout individu tout en restant secret. C’est un sujet qui soulève un problème, un problème de corruption, des problèmes secrets que l’on cache à la population, mais que l’on refuse de voir. Ce film est une fiction certes, mais tout ce qu’il y a dedans est vrai. On se dit, « Cela se passe en Italie, cela ne se passe pas comme ça chez nous ! », et la polémique sur le Médiator alors, l’avons-nous oubliée ? Les images de véritables journaux télévisés au début du film sont là pour nous le rappeler. Cet homme, le Vendeur de Médicaments, n’a rien d’un pharmacien, il vend des médicaments au médecin et aux pharmaciens comme des produits de consommation. Il les force à les vendre en les achetant, en les corrompant. Cela commence fort : par un suicide, par une réunion marketing sur des médicaments…
Un homme ayant fait des études de Vétérinaire vendant à des médecins des médicaments qu’il n’a même pas testés sur 40 personnes ? Un homme utilisé comme une souris de laboratoire par un médecin ? Des médicaments qui ne sont que des produits marketing ? Des médecins qui acceptent de prescrire des médicaments, même s’ils sont dangereux, à des patients en échange d’I-pads ou de voitures ? Cela paraît-il absurde ? Eh bien non. Tout est là, dans ce film de 105 minutes, tout est dénoncé.
Mais à travers ce sujet hautement polémique il y a aussi la destinée d’un homme, d’un homme manipulé et manipulateur. Sa vie va basculer, le jour où il apprend que l’institut pharmaceutique dans lequel il travaille veut renvoyer un certain nombre de personnes, et le jour où il apprend qu’un de ses amis est victime d’un médecin qu’il a fourni en médicament, que la vie de ce dernier a tourné au cauchemar parce qu’il est devenu une souris de laboratoire. Cet homme est coincé, il est lui-même une souris face à un choix décisif : continuer à vendre des médicaments qu’il sait dangereux ou prendre le risque d’être licencié… ? Au moment où il le souhaiterait le moins, il doit encore plus corrompre les médecins, les pharmaciens, pour ne pas prendre le risque de se faire renvoyer.
On voit cet homme évoluer au plus près de nous, la caméra est portée à l’épaule comme pour signifier que tout fait partie du réel. Tout est réduit à l’extrême essentiel : peu de musique, mais les bruits, les sons, les images du réel. Cependant les images sont pures, d’une pudeur essentielle. On voit la vie de cet homme se transformer peu à peu, il sombre dans les méandres de la tristesse, jusqu’à corrompre sa propre femme. Le spectateur est lui-même embarqué et, face à une question, il est lui-même confronté à un choix : devons-nous détester cet homme auquel nous nous attachons ? Devons-nous détester cet homme coupable mais pour qui nous éprouvons de la pitié, pour qui nous éprouvons de la tristesse, de la compassion ? Là est le coup de maître du réalisateur.
Finalement cet homme est aussi une victime du système, la vision manichéenne si chère à bon nombres de cinéastes est ainsi repoussée. Cet homme ne sait pas ce qu’il vend, il n’a fait que des études de vétérinaire, lui-même prend toutes sortes de médicaments. Il est coincé, emprisonné dans ces longs couloirs blancs, dans l’objectif de la caméra, et ne saurait s’échapper, il est emprisonné dans le système, il sombre dans la folie. L’argent, est-ce donc la seule chose que  cet homme souhaite ? Peut-être que oui, peut-être que non, à nous de répondre. Mais cet homme grave, qui perd pied, nous émeut, il a besoin d’aide, mais personne ne saurait lui en donner, il n’arrive plus à s’échapper.
               
               C’est une histoire rocambolesque que celle de ce long métrage, digne d’une production hollywoodienne. Sorti en mai dernier en Italie, il a connu une grande polémique et ce fut difficile de le sortir. On peut compter à ce jour 53 copies du film. Le projet du réalisateur était de faire un documentaire, il a ainsi fait de nombreuses recherches dans des laboratoires pharmaceutiques pour voir la réalité. Il a vu que le marketing gérait beaucoup de choses dans ces cabinets pharmaceutiques, les produits étaient traités comme de simples biens de consommation.
Un documentaire était impossible, la fiction fut alors la solution, un moyen détourné et beaucoup plus simple. Antonio Morabito a voulu ainsi faire des recherches dans des journaux de recherches scientifiques, mais il a remarqué qu’ils étaient financés par des laboratoires pharmaceutiques, les mêmes qu’il dénonce. Il n’a pas voulu faire une enquête précise, « la reine » est par exemple un mot inventé car chaque institut a sa manière propre de nommer celle-ci. Il eut petit à petit les informations en se renseignant auprès de pharmaciens et de laboratoires du Sud de l’Italie. On y voit ainsi toute la réalité, mais les informateurs ont dû rester anonymes, cacher leur véritable nom, car certaines informations ne pouvaient et ne devaient être délivrées.
Il y eut un consensus de moult instituts pharmaceutiques qui ont critiqué le film, ont voulu le censurer, et cela jusqu’aux États-Unis où la Zafer a envoyé un mail pour demander que ce film soit censuré. En effet, Antonio Morabito a eu beaucoup d’informations de la part de cet institut dans lequel le personnage principal du film travaille, mais d’autres instituts l’ont défendu et cela a permis à ce film de fiction avec une dramaturgie inventée mais qui s’inspire de la réalité de se réaliser. 
Certains médecins l’ont critiqué sans même l’avoir vu, disant que cela cassait la confiance entre les patients et le médecin. L’Ordre des médecins a ainsi fait une lettre officielle pour dire que le film était dangereux et que cela mettait en lumière des rapports brutaux entre les médecins.
Toutes les classes médicales se sont révoltées à sa sortie. Lors de la projection du film en Suisse, le réalisateur a rencontré un responsable parlementaire de produits pharmaceutiques, et ce dernier lui rapporta que cela se passait réellement comme cela, et pourtant la Suisse est l’endroit où il y a le plus d’instituts pharmaceutiques.
Pour traiter de ce sujet grave, il ne fallait pas prendre les choses à la légère, il y eut ainsi beaucoup d’essais avec le très bon acteur qu’est Claudio Santamaria qui s’est fait remarquer pour son rôle dans Juste un baiser de Gabriele Muccino. En effet, fréquemment le réalisateur et l’acteur n’avaient pas le même point de vue sur les scènes, Claudio Santamaria restait souvent impassible. Ils ont fait de nombreux essais avec Marco Travaglio, un journaliste réputé en Italie qui joue le rôle d’un médecin dans ce film, le professeur Malinverni.
Relativisons néanmoins. Les médicaments ne sont pas tous dangereux, mais il faut tout de même dire que 70% des médicaments que nous avons chez nous ne servent strictement à rien.  De plus, aujourd’hui, il y a beaucoup de contrôles, même si certaines manières de les déjouer demeurent. Ce film n’incite pas à ne plus consulter de médecins, il n’est rien de tout cela, les grands-parents du réalisateur étant eux-mêmes des médecins. Les médecins ont un rôle nécessaire. D’ailleurs, dans le film on voit qu’il y a de très bons docteurs en médecine qui refusent de se faire acheter pour vendre les médicaments du personnage principal. Par exemple, Antonio Morabito pense que l’homéopathie préventive n’est pas quelque chose de mal, comme lorsqu’on l’utilise contre la fièvre, mais beaucoup trop de médecins prescrivent encore du paracétamol et en oublient la belladone.
En Italie ce film a été malgré tout très bien reçu, et à la fin de chaque projection, des hommes, des femmes, venaient raconter au réalisateur leurs expériences, car ce qu’il dénonce ce sont des choses que nous savons, et si nous voulons le savoir, on le sait, mais souvent on refuse de voir la vérité en face, on est face à ce film comme face à un mur impénétrable.
                                                                                           
Mégane.
                                                              



«  Pour l'amour de la différence  »



Sebastiano Riso, Più buio di mezzanotte (Plus noir que minuit)
2014, 98' CF 


            Récit au potentiel émotionnel fabuleux, ce premier long métrage de Sebastiano Riso est inspiré d'une histoire vraie : Davide Cordova (Davide Capone), un jeune garçon de 14 ans à l'allure androgyne, est opprimé par un père (Vincenzo Amato) refusant la personnalité féminine que son fils se forme. Ce film touchant, aux apparences documentaires, rapporte la fugue de cet enfant du foyer familial et son quotidien dans un monde qui rejette la différence. Il rencontre lors de sa fugue un groupe d'homosexuels vivant de la prostitution et du vol, avec qui il va survivre dans les rues atypiques de Catane.
            À la fois mystérieux et pleinement humain, ce monde de l'homosexualité et de la prostitution que Riso nous fait découvrir n'a pas manqué d'émouvoir le public : se sont enchaînés au Décavision les rires, les pleurs et les exclamations, au rythme du lyrisme de la narration. La rage envers le père cruel, la désolation pour cet enfant exclu, le bouleversement à la vue de ce monde miséreux et rejeté, et même une certaine gêne vis-à-vis de ce mode de vie inhabituel mais bien réel... Tous les sentiments y passent. Discrètement, quelques spectateurs ont sorti un mouchoir...
            Ce long métrage émeut car il incarne une réalité, que le spectateur se prend en pleine figure. Rien de foncièrement choquant n'est montré à l'écran, malgré un sujet amer. Tout tient refuge dans l'atmosphère, mi-romantique mi-dramatique, que la musique de Michele Braga illustre avec succès. Malgré tout, et nous pourrions même dire « curieusement », le film a été censuré en Italie, à l’intention tout d'abord des moins de dix-huit ans, puis des moins de quatorze ans. Il a eu affaire à de nombreuses oppositions, et près d'une quarantaine de messages insultants ont été envoyés à la chaîne productrice. Le réalisateur, qui s'est exprimé après la projection, nous a confié avoir subi des attaques d'écoles religieuses dans le but radical d’interdire la production du film. Complot ou affaire morale, cette censure reste assez mystérieuse aux yeux de son auteur.
            Riso rencontra Davide et son histoire dans un aéroport. Pour le réalisateur, ce fut une révélation. Pour trouver l'acteur parfait il enchaîna une quantité incalculable de castings. L'acteur choisi, nommé aussi Davide, représentait tout à fait l'image que Riso avait de son personnage : émouvant, au regard innocent du jeune garçon en quête d’identité, tout en dégageant une grande intelligence.
            Il est difficile de situer temporellement ce chef-d’œuvre. Les vêtements, les rues, rien ne nous indique à proprement parler l'époque dans laquelle nous sommes plongés. Riso termine l'entrevue avec le public par les mots « Il n'y a pas de temps là où il n'y a pas de changement ».  Belle conclusion pour un film riche de sens.            
                                                                                                                                 Romane.
 








Il Sud è niente de Fabio Mollo 90' 2013 CF

Poignant, saisissant, captivant... Les mots ne manquent pas pour décrire le chef-d'œuvre du cinéaste italien Fabio Mollo, intitulé Il Sud è niente
Emmené par les acteurs Miriam Karlkvist, (il s'agit, par ailleurs, de son premier rôle à l'écran), qui interprète le rôle de Grazia, ou encore Vinicio Marchioni dans le rôle de Cristiano, le père de Grazia, ce film transcrit le douloureux manque ressenti par la jeune fille, à la suite de la disparition inexpliquée de son frère. Son père et sa grand-mère ne lui ont jamais donné d'explications sur ce drame, c'est pourquoi la jeune fille est hantée par cette absence. Un jour, lorsqu'elle se promène dans une fête foraine, elle aperçoit le visage de son frère, qui disparaît aussitôt. Elle va alors partir à sa recherche, avec l'aide d'un ami en dépit de la désapprobation de son père. 
Le spectateur va ainsi se questionner sur l'existence réelle ou imaginaire de ce frère disparu tout au long du film. 
On peut remarquer un énorme travail sur la qualité des images, notamment les images filmées sous l'eau, qui sont d'une netteté surprenante, ainsi que la manière de capturer les images, les détails à l'aide de gros plans, de travellings... Cela retranscrit les sensations de manière intense, et touche la sensibilité du spectateur. 
Le jeu des acteurs est, dans ce film, d'une rare précision, étant donné que beaucoup de scènes sont muettes, centrées seulement sur les traits, les gestes et les attitudes des personnages. 
Pour conclure, ce film est donc un véritable chef-d'œuvre, dès les premières minutes et jusqu'à sa fin.

Alicia et Océane.





« Ce n’est pas ton monde. »


Comment parler de la vérité ?
Comment la filmer sans la troubler ?
Finalement, comment donner une essence personnelle à ce qui n’est pas de notre ressort ?
C’est ce que décident d’aborder Mario Brenta et Karine de Villier dans Corpo a Corpo.
Cinq semaines. Une caméra. Et la troupe de Pipo Delbono qui vit devant eux.
Les orchidées se courbent face au vent et elles explosent : « Chacun devrait être ce qu’il est ».
C’est un grand conte d’histoires communes et personnelles sous les yeux attentifs du botaniste. Sa passion pour ceux qui « ne sont pas encore vaincus » et puis, lui aussi il crie et il parle d‘amour et de Roméo et Juliette et de tout ce qui se passe dans le monde parce que c’est cette maladie du mensonge et de l’apparence qui a tué Épitre.
L’orchidée ne fane jamais, symbole de l’impératrice, loin, en Chine dans l’éternité de cette énergie qui emporte les corps des comédiens, c’est un « corpo à corpo » entre eux et le monde.
Le film comme une capture d’image aussi, pour rendre immortelle la force des improvisations. La vérité est donnée dans le moment. Mais ne faisons pas d’amalgame, ce film n’est pas une copie conforme de la pièce : la plupart des éléments présents n’ont pas été retenus pas le metteur en scène. Un processus créatif, deux fins très différentes, le cinéma et le théâtre, deux corps à corps avec la vérité, deux résultats.
Les orchidées sont belles, étranges nénuphars au bout d’une tige. « Les seules personnes dignes devraient être des  fous. » Les orchidées sont-elles folles ? Dimension dramatique, des corps mangés par la lumière, des esprits troublés, nous sommes dans le navire des fous de Bukowski, nous sommes hors du temps, nous sommes des géants alors « s’il vous plait, sauvez-moi de ces visages polis, de cette diction parfaite. »
Et enfin tout ce qu’il y a autour, des gestes et des paroles humains parce qu’ils sont drôles et parce qu’ils sont vrais.
Polyne.


Bolgia totale de Matteo Scifoni : un film « noir », mais avec de l'espoir.

J'ai été épatée, en tant que spectatrice, par ce film de Matteo Scifoni. Il s'agit principalement de suivre deux protagonistes qui semblent tout d'abord totalement opposés : Quinto est un inspecteur de police proche de la retraite, et Michele Loi un jeune trafiquant de drogue à tendances psychopathes. Quinto, après avoir malencontreusement laissé le malfrat échapper à sa vigilance, est chargé de le retrouver pour le faire arrêter. S'en suit alors toute une « course-poursuite », mais pas à la manière habituelle d'un film du genre policier ou d'un film d'action. Le spectateur suit de près ces deux personnages, entrant dans la vie la plus intime de chacun d'eux. Il nous apparaît que ceux-ci, finalement, sont liés : ils baignent dans les mêmes problèmes d'addiction aux drogues et à la nicotine et ont les mêmes problèmes d'argent. Au fil du film, nous nous rendons compte que quelque chose les relie étroitement. Eux-mêmes, au fil du film, se rendent compte de cette ressemblance ; une réplique de Michele Loi, joué par Domenico Diele, est a mon avis très représentative de cette prise de conscience. Alors que l'inspecteur l'appelle pour lui demander de se rendre à la police, celui-ci dit : « siamo uguali, nonno » ("nous somme pareils, papy"). Il s'agit ainsi de souligner que, malgré leurs différences d’âge et de statut qui semblent les opposer, ils sont sur le même bateau, si l'on peut dire, celui d'une vie semée de difficultés et qui penche vers la déchéance. Le policier est sur le point de se faire renvoyer et il a de nombreux problèmes d’argent tandis que Loi est sous pression car la drogue qu’il devait vendre a été confisquée par la police. 
Il est très émouvant de voir ces deux personnages qui devraient se déchirer, selon tous les stéréotypes, se lier d'une amitié, qui reste tout de même implicite et inavouée. Le réalisateur, d'ailleurs, nous confia pendant la rencontre qu'il avait volontairement choisi de mettre en scène des personnages stéréotypés pour ensuite pouvoir dépasser ces mêmes stéréotypes. Et la fin du film, en effet, dément le spectateur en réalisant en partie le contraire de ce à quoi nous nous attendions. 
Un autre personnage que j'ai trouvé très intéressant est l'Albanaise muette pour laquelle Michele Loi ressent des sentiments. En effet, ce choix de représenter une âme-sœur muette pour le protagoniste semble singulier. Lorsque nous avons posé la question à Matteo Scifoni, celui-ci a répondu qu'il s’agissait d'une dimension en quelque sorte ironique et qu'il était intéressant de filmer une telle situation : le protagoniste à tendance psychopathe ayant besoin de parler énormément, cette situation est très frustrante pour lui, ce qui engendre un comique de situation, tranchant avec la noirceur générale du film.
Au-delà de la personnalité des personnages, très recherchée et attachante, il faut souligner les très grands efforts de réalisation. Le réalisateur et les producteurs nous signalent qu'il s'agit du premier film de Matteo Scifoni, et que le film a dû être réalisé à petit budget et en peu de temps. On ne peut donc que féliciter toute l'équipe d'avoir produit une telle œuvre cinématographique. Et, en plus du scénario très travaillé, l'actrice Xhilda Lapardhaja, qui joue l'Albanaise muette, pour s'imprégner de ce rôle difficile, a dû demander l'aide d'un sourd-muet pour apprendre le langage des signes et les perceptions très spécifiques de ces personnes en quelques mois. 
Lors de la rencontre d'après-séance, le réalisateur, timidement mais très aimablement, nous a confié sa joie de présenter son film en France et livré sa conception de ses propres personnages. Il a beaucoup insisté sur le caractère volontairement archétypé de ses personnages, notamment de Michele Loi, le « bandit héroïque », une sorte de héros romantique. Ce personnage, qui nous paraît agressif, dangereux car psychopathe et en marge de la société, se révèle n'avoir pas un si mauvais fond. 
Il confie sa volonté de rendre un hommage à Serge Leone avec un personnage qui s'apparenterait en quelque sort à une brute et explique qu'il s'est inspiré de plusieurs réalisateurs dont Tony Scott à qui il aurait « volé » l'idée d'un personnage qui a des fantasmes récurrents (puisque Michele Loi voit apparaître à plusieurs reprises un homme qui lui donne des conseils dans sa tête).
En conclusion, je suis ravie d'avoir participé à une séance de ce film que je reverrais volontiers une plus tard, ne serait-ce que pour les émotions qu'il suscite en nous. Les spectateurs ont eu des moments d'émotions fortes, voire de stupeur à certains passages du film qui en ont fait sursauter beaucoup, et surtout nous ressentons un fort attachement pour les protagonistes. Je conseille vivement ce film à tous les spectateurs avides de films « noirs » ou de « polars », en soulignant le fait que tout n'est pas tragique et noir dans ce scénario, il y a toujours une nuance d'espoir qui fait que nous ne sortons pas « anéantis » de notre séance de cinéma. 

Charline.

Michele Loi, le protagoniste, en présence de son amie muette.




 Alice RORWACHER, LE MERAVIGLIE


19h : il y a foule au cinéma de Novel ! La file d'attente ne peut être contenue dans le hall. Finalement, la salle ne pourra accueillir tout le monde et ce n'est pourtant pas faute d'avoir rajouté des chaises en plus... Un très beau succès pour cette séance de pré-ouverture, donc.

19h45 : petit (long?) discours pour le lancement du festival. On applaudit. La présidente de la MJC s'essaye à la langue italienne, on rigole. Salvador Garcia (directeur de Bonlieu) nous confirme que le prochain festival se tiendra dans les murs de Bonlieu, on s'en réjouit. Jean Gili (directeur général du festival) excuse la réalisatrice du film, Alice Rohrwacher, et sa sœur (protagoniste dans le film) de leur absence ce soir, on est déçu (mais que faire face à la concurrence des autres festivals, qui plus est en Corée ? On pardonne).
Ça, c'était pour le protocole.

Le film, ça donne quoi ?

Avertissement : cette critique essaye, dans la mesure du possible, de ne pas dévoiler l'intrigue, mais ne peut pas ne pas s'y référer. Aussi je ne peux que vous conseiller d'aller voir le film « l'esprit vide » (les lieux et les horaires de projection sont à la fin de l'article).

Car au fond, oui, c'est bien le film qui nous intéresse (buffet hors-concours) ! Le film s'ouvre sur les beaux plans de nuit de lueurs qui s'avancent vers nous, pour petit à petit laisser entrevoir des chasseurs sortir de leurs 4X4. Les premières minutes plantent efficacement un décor atypique : une ferme délabrée où la famille de Gelsomina se débrouille pour faire fonctionner son activité d'apiculture, sous l'autorité du pater familias (qui, à la longue, aura exaspéré plus d'un spectateur, c'est bien, il est dans le rôle).

Le Meraviglie a plusieurs atouts de son côté : excellente direction d'acteurs, amateurs pour la majeure partie (un chapeau pour les enfants, tous parfaits), un décor atypique, qui offre de très belles scènes (Gelsomina et son père essayant de fixer une ruche à un arbre plein d'abeilles), une belle photographie, etc. Surtout Le Meraviglie, film assez inégal selon moi, est dès lors le théâtre de quelques très belles scènes : celle de la ruche donc, les plans sur le chameau que le père offre maladroitement à Gelsomina, un superbe raccord reflet dans l'eau/reflet de miroir (pour ceux qui ont gardé les yeux grands ouverts), la scène, envoûtante, étrange, surprenante et poétique à la fois, où Gelsomina fait sortir une abeille de sa bouche, et j'en oublie. En d'autres termes, le film ne manque pas de qualités, surtout techniques et esthétiques.

Toutefois, si le charme opère lors de ces scènes clés, le film dans son ensemble me laisse un peu sur le bord du chemin. La faute, peut-être, à un scénario qui manque de tensions, d'enjeux dramatiques susceptibles de nous emporter, à un scénario qui justement voudrait nous emmener sur plein de pistes, mais finit par s'éparpiller et se perdre en chemin... Si bien qu'il peine à refermer toutes les pistes empruntées au cours du film, et choisit finalement la solution de la fin ouverte, peut-être un peu facile ici (je précise que je n'ai rien contre les fins ouvertes, mais certaines sont plus réussies que d'autres : No Country for Old Men, The Ghost Writer, Le Ruban blanc pour citer des exemples assez récents). Pour ma part, le littéraire que je suis ne peut s'empêcher d'y voir une référence à la caverne de Platon. J'ai toute une théorie là-dessus, mais ça sent la déformation professionnelle...

Pour résumer, un film intéressant, très intriguant, qui prend justement le parti-pris intelligent de ne pas tout dévoiler au spectateur. On a une œuvre qui est de très bonne facture, à défaut d'être réellement marquante ; on suit poliment le cours des événements. Est-ce moi qui avais fixé trop haut mes attentes sur ce film (le Grand prix récolté à Cannes y est peut-être pour quelque chose...) ? Toujours est-il qu'il constitue une curiosité dont on aurait tort de se priver ! 

Bien sûr, cet avis ne concerne que moi, je vous invite à lire les articles de mes camarades ô combien éclairés pour prêter l'oreille à d'autres opinions.

Les séances des projections :
Le film s'inscrit dans une tournée départementale, en partenariat avec le Conseil général.
Jeudi 9 octobre, à Saint-Jorioz (CDPC)
Vendredi 10, à Cusy (Cinébus)
Samedi 11, à Chamonix (VOX)
Dimanche 12, à La Roche-sur-Foron (au Parc)
Lundi 13, à Doussard (CDPC)
Mardi 14, à Cluses (Cinétoiles), Sciez (CDPC), Talloirs (CDPC)
Jeudi 16, à Rumilly (La Concorde), Saint-Gervais (CDPC)
Vendredi 17, à Thorens (au Parnal)
Samedi 18, à Annemasse (Cinéactuel).
Sinon, il faudra attendre sa sortie nationale sur les écrans français cet hiver...

Melen


Buongiorno Taranto
Paolo Pisanelli
CD 2014, 85’.

Mais quelle est cette poussière ?

Le soleil ? La mer ? Non … La sidérurgie !
C'est la dolce vita au nitrate, tu cours, tu vis, tu respires ; mais parce que tu respires, tu meurs. Et boum ! La fumée de ton propre travail te tue.
Buongiorno Taranto ! Les murs ocres de la vieille ville, les usines, les ouvriers,  la lumière le mouvement et tout n'est que rien, la perle des Puglia, entité de la modernité, attire les hommes de partout pour finalement les étouffer. Finalement, une forme d'échec pour notre société :
            Une ville et des hommes déchirés face au dilemme « La santé ou le travail ? »
Et que choisir ?
            Alors, on choisit de vivre. On est dans l'eau, rien ne bouge : tout le monde attend que tout s'arrange, mais rien ne change. Et puis on sort et le clapotis des vagues devient un cri : « e ora che cose fatto ? » 
La ville, la lumière et le mouvement se transforment en un flot d'images qui se déverse sur nous, nous avalant de toute sa puissance. En fait, ce qui est le plus marquant, c'est cette volonté  de se dresser face à la paralysie générale. Ce choix de ne pas abandonner. La beauté de la force comme une ode pour ceux qui se battent et qui respirent à en mourir.
            Un élan de joie et de colère.
            La traversée d'une ville.
            Mais qu'ils courent ! Qu'ils vivent ! Qu'ils respirent ! 
Pauline.



LE MERAVIGLIE d’Alice RORWACHER

Le Meraviglie ou Les Merveilles d’Alice RORWACHER a été récompensé cette année à Cannes du prix spécial du Jury. Il raconte l’histoire d’une jeune fille, Gelsomina, qui vit dans une famille d’apiculteurs. Ils sont sept dans la maison : les quatre filles, la mère, Coco et le père. Le père de Gelsomina, entouré de femmes,  rêve d’avoir un fils. Il va le trouver dans le jeune délinquant Martin que la famille accueille pour trouver un peu d’argent. Devant remplacer son laboratoire, elle va, en dernier recours, participer à un jeu télévisé afin de payer ses dettes.
Ce film rend perplexe. Il a tendance à se cacher. Le spectateur y est directement immergé dans la vie des personnages qui ont à plusieurs moments tendance eux aussi à se cacher de ce spectateur lors de moments un peu plus intimes ou bien au sujet d’éléments dont ils ont honte. Dès la première scène, la sœur du personnage principal est gênée par le regard de sa sœur (et le nôtre ?) pour faire ses besoins. Un peu plus tard, lorsque, un œil au beurre noir, Gelsomina essaie de le cacher, ses mains ne le cachent pas aux autres personnages mais à nous, spectateurs, qui ne l’ignorons pourtant pas.
À cela s’ajoute la solitude des personnages : le père dort dehors seul au milieu de sa cour. Un plan large nous montre la distance qui sépare les personnages du monde alentour. Ils sont seuls dans un désert mais un désert qu’ils conservent car le père essaie de faire fuir les chasseurs qui rompent leur tranquillité. Une variante de cette scène revient à l’avant-dernier plan du film où, cette fois-ci, c‘est toute la famille qui dort au milieu de la cour. Finalement, cette famille n’est pas réduite à la solitude : tous s’entraident face aux difficultés de la vie.
Malgré cet isolement, ils tentent de nouer un lien avec le monde moderne afin de régler leur problème et affrontent la réalité de ce monde à travers le jeu télévisé qui les emmène sur une île en bateau. Cette scène nous montre le reflet des bateaux dans l’eau : l’entrée dans un autre monde. Un autre monde qui les déconcerte. Ils ne comprennent pas trop ce qui leur arrive et, malgré quelques mots qui retiennent l’attention, les paroles incomplètes du père : « C’est la fin du monde » soulignent que leur monde se détruit. Le don de Gelsomina n’est applaudi que par certaines personnes car trop en rupture avec cet autre monde. Finalement, c’est effectivement une victoire : malgré leur marginalité, ils montrent leur désir d’intégrer ce nouveau monde dont la nouveauté les oppresse petit à petit.
Ce que souligne le traitement du son lors de la scène où sont présentées les modifications à faire dans le laboratoire : les petites filles qui jouent dehors et tapent sur le mur ; ce qui nous gêne à la manière dont les protagonistes sont gênés par les travaux à faire d’après la nouvelle loi. Cette thématique de l’extérieur qui les oppresse revient souvent : l’arrivée des pesticides qui tuent les abeilles ou bien les touristes qui viendraient envahir les lieux. Finalement, le dernier plan, plein d’intérêt, montre les lieux délabrés, ce qui laisse penser que la famille a perdu son combat pour garder son mode de vie. Mais cela montre aussi que la maison n’a pas été détruite et qu’elle recèle probablement la « capsule temporelle » dont les personnages ont parlé en toute fin. Et nous invite à chercher pour découvrir le vrai monde qui se tient derrière les carreaux, derrière ce qu’on voit, les décors touristiques, le feu et les ombres de la caverne.
Le cœur du film, c’est Martin, le jeune délinquant que la famille accueille. Ce personnage ne parle pas, refuse qu’on le touche, et parfois siffle. Comme s’il incarnait la part masculine de Gelsomina, qui représentait dès le début le membre le plus masculin du film, avec la volonté de voir des choses nouvelles. Tout en s’accomplissant elle-même, elle devient le fils que son père souhaite, comme le souligne le plan dans la caverne, en référence à Platon, où les deux personnages s’enlacent face au feu. Cela explique aussi qu’au retour à la maison Martin ait disparu alors que Gelsomina, qui en était auparavant incapable, se met à siffler. Ainsi après un voyage hors de la caverne dans lequel les deux personnages se cachaient, ils s’unissent dans la même personne : Gelsomina
Finalement, Le Meraviglie est un film que je vous invite à voir pour sa force symbolique et pour sa qualité d’interprétation. La discussion à son sujet est ouverte puisque c’est un film qui donne à penser et à échanger : je vous invite donc à chercher le motif dans ce tapis immense qu’est Le Meraviglie.
Tanguy.


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