Voici une série d'articles confectionnés de concert par Marie, Melen et Olivier à propos du travail de Luciano Tovoli.
Vittorio de
Seta, Banditi a Orgosolo (1960)
un coup d’essai
pour Luciano Tovoli : un coup de maître
Banditi a Orgosolo (1960) constitue la grande
première de Luciano Tovoli dans une production cinématographique d’importance
: il y est recruté en tant que chef-opérateur au sortir même de son école de
cinéma. Il devient la « main droite » (expression chère à Fellini) de
Vittorio de Seta, pionnier du genre documentaire, et lauréat de la Palme d'Or à
Cannes.
Malgré une
approche esthétique proche de celle de la fiction, Banditi a Orgosolo
s'impose dès le début comme un documentaire, en tant que reflet d'une réalité
objective à travers l'histoire individuelle d'un des bergers qui survivent tant
bien que mal dans la Sardaigne des années 1960. De Setta dirige avec maestria
tout un casting d'acteurs non professionnels, pris in situ, au moment des faits. Michele Cossu interprète ici son
propre rôle : il s'agit d'un berger orphelin qui s'est émancipé avec son
petit frère. Ils mènent ensemble une vie paisible bien que rude sur les grands
pâturages sardes. Son existence d’ermite se voit ébranlée le jour où il se
trouve impliqué malgré lui dans un conflit armé avec les carabinieri à
cause de deux brigands. Sa sédentarité rêvée devient une fuite en avant, son
statut celui d'un exilé.
L'histoire
de Michele est celle d'un marginal au style de vie hétérodoxe. Ses moyens de
subsistance, plus proches de ceux des chasseurs-cueilleurs que de ceux des
sociétés modernes, souffrent d'un éternel décalage avec l'évolution des mœurs
des autorités qui les condamnent. Ce train de vie qui répond à une logique
propre – à une conception originale de la justice, du devoir, du besoin – fait de
ces bergers des proscrits. L'autorité en fait des bandits.
Filmé avec
brio, Banditi a Orgosolo fait preuve d'une maîtrise du noir et blanc à
couper le souffle et d'une véritable recherche cinématographique. Les abondants
plans larges sur les montagnes sardes, puis le lent déroulement de l'histoire
annoncent déjà les prémisses du western spaghetti (Pour une poignée de
dollars de Sergio Leone verra le jour seulement quatre ans après). Le
scénario, bien que travaillé, ne trahit en rien la réalité ; la fin
dramatique de l'histoire ne sera pas sans rappeler à certains la morale du
célèbre film du paronyme de Vittorio de Seta, Le Voleur de bicyclette.
Olivier.
Profession : reporter d'Antonioni (1975)
La photographie,
signée Tovoli, est une nouvelle fois somptueuse
4ème et dernier round
de notre « marathon Tovoli » : le Profession : reporter
d'Antonioni. Un grand et beau film, complexe, avec un Jack Nicholson étonnant
dans ce rôle de David Locke, journaliste qui profite de la mort d'un trafiquant
d'armes fréquentant le même hôtel que lui pour intervertir leurs identités, se
faire ainsi passer pour mort et démarrer une nouvelle vie.
La réflexion du réalisateur se
porte ici sur l'identité : est-elle propre à chaque individu ? Se
résume-t-elle à un simple nom et à une photo qui l'accompagne sur un papier, à
une pure convention sociale ? Nos actes définissent-ils qui nous
sommes ? Vastes questions, auxquelles David Locke / Robertson n'a pas la
réponse, confondant lui-même le rôle qu'il joue, celui de Robertson, et
l'individu qu'il n'a, au fond, jamais cessé d'être : David Locke, « the
real me ». Même Rachel, sa femme, avoue à la fin du film qu'elle ne
l'a « jamais connu ».
Mais qu'est-ce qui peut bien
pousser David Locke à se faire passer pour mort, à tuer sa propre identité
sinon à se suicider fictivement ? Quand il regarde dans le rétroviseur, le
reporter n'est pas fier. Si ces collègues le présentent comme un professionnel
plein de talent, force est de constater que ce n'est pas la première impression
qui traverse le spectateur. Locke, au début du film, échoue à trouver le camp
militaire des opposants au régime, perdu dans un pays qu'il ne connaît pas. Le
journaliste est hors des événements, les observe de loin sans y prendre
réellement part (par contraste, Robertson, est bien plus ancré dans le
conflit). L'interview d'un sorcier se transforme en gag : celui-ci
retourne la caméra sur David Locke et lui pose lui-même les questions. Enfin,
la pertinence du travail de Locke est totalement remise en cause quand il
interroge le dictateur en place sans être incisif, se contenant de réponses
propagandistes et erronées. Sur le plan privé, ce n'est pas mieux : sa
femme, Rachel, entretient des relations avec un autre. Lassé par son métier et sa
vie en général, Locke entreprend donc de fuir vers une toute autre existence.
Mais la société est-elle prête à laisser l'un de ses individus échapper à son
contrôle, à ses normes (la norme de l'identité par exemple, qui nous
assigne un nom et une fonction qu'il faut alors remplir à vie), le laisser
s'enfuir vers une liberté qu'elle ne peut offrir ? Dans Profession :
reporter, ce sont moins les agents chargés d'éliminer celui qu'ils pensent
être Robertson que les propres amis de David Locke qui le recherchent, le
suivent, le traquent...
Film à la fois philosophique
(comment ne pas voir dans le nom même de Locke une référence manifeste) et
romantique, existentiel et antithèse du thriller classique, Profession :
reporter frappe par sa beauté et constitue selon son auteur lui-même son
« œuvre la plus aboutie sur le plan esthétique ». Si l'on exclut le
fameux plan-séquence final de sept minutes qui a fait couler beaucoup d'encre,
véritable prouesse technique dont Luciano Tovoli a rappelé lors de la
« leçon de cinéma » qu'elle avait nécessité plus d'une semaine de
tournage, beaucoup de plans imprègnent durablement nos rétines. Celui de Jack
Nicholson qui vole tel un oiseau au-dessus des eaux de Barcelone depuis le
téléphérique. Ou celui de Maria Schneider se penchant à l'arrière de la voiture
pour admirer la route et les arbres qui défilent à toute vitesse. Tous deux,
par l'absence quasi totale de son, sont animés par la même énergie, et restent
à ce jour les plans les plus évocateurs de l'idée de liberté.
La photographie, signée Tovoli,
est une nouvelle fois somptueuse, instaurant une continuité entre les paysages
désertiques africains et espagnols. Cette aridité des paysages fait écho à
l'aridité même du film ; aridité visuelle, donc, mais aussi sonore (les
dialogues sont réduits au strict minimum), thématique et scénaristique (rythme
lent et refus du spectaculaire), une aridité qui présente, in fine, une
œuvre dégagée de tout superflu. Une œuvre réduite à l'essentiel, comme la vie
que David Locke cherche à atteindre.
Melen.
Le Général de l’armée morte : un film signé Luciano Tovoli
(vendredi 10 octobre, 19 h, MJC Novel)
Chef-opérateur de formation, le jeune Tovoli fait ses premiers pas dans le monde du cinéma lors du tournage de Bandits à Orgosolo, film de Vittorio De Seta réalisé en 1961. Après plusieurs années d’expérience auprès de grands réalisateurs italiens, il décide de réaliser son premier film, Le Général de l’armée morte,
sorti en 1983 sur nos écrans.
Le film met en scène Marcello Mastroianni,
campant le rôle d’un certain général Ariosto, et Michel Piccoli, dans
la peau d’un aumônier militaire, nommé Benetandi. Une rivalité masculine
naît rapidement au sein du duo lorsque la comtesse Betsy (interprétée
par la très belle Anouk Aimée) prie les deux hommes de rapatrier les
ossements de son défunt mari, le Colonel S., mort sur le sol albanais
durant la Seconde Guerre mondiale.
Commence alors pour
les deux hommes une période de recherche sur une terre lointaine et
habitée par les souvenirs de soldats morts aux combats. Malgré ses
efforts, le général Ariosto reste dans l’ombre du défunt et énigmatique
colonel, que la comtesse loue en véritable héros. Le général, prisonnier
de ses illusions, est tourné en dérision, comme nous le suggère, très
ironiquement, le titre du film. Général bureaucrate exempté de toute
participation à la Seconde Guerre mondiale, Ariosto rêve illusoirement
de gloire et de reconnaissance qu’il espère trouver auprès d’une armée
de soldats morts sur le sol d’Albanie.
Cette odyssée se révèle vite
vaine pour le général et l’aumônier qui commencent à s’interroger sur le
sens de leur mission… C’est finalement la question de la guerre qui est
soulevée et traitée de manière grotesque. C’est par la dérision que le
film s’attaque à la guerre, à ses secrets et à ses vilenies pour la
démystifier complètement.
Le film fait tomber
les masques pour dévoiler les véritables visages. La légende du Colonel
finit par s’effondrer : peut-être n’est-il finalement pas ce héros que
décrit la comtesse.
Entre dérision comique et réalisme tragique, Le Général de l’armée morte
compte parmi les classiques du cinéma italien. En bref, le film parvient
à nous faire voyager à travers l’Histoire et les grandes plaines
désertées d’Albanie. L’on reconnaît aisément la marque du chef-opérateur
qu’est aussi Tovoli qui, « par sa science de l’éclairage, […] a créé le
climat qu'il fallait à cette farce funèbre » qu’est Le Général de l’armée morte.
Marie.
« Mélodrame
punk »
Incompresa
d’Asia Argento 103’ 2014
Présentée dans la sélection Un
Certain Regard à Cannes en mai dernier, L’Incomprise
d’Asia Argento, la fille du grand Dario, nous interpelle. Le rapprochement avec
L’Incompris de Luigi Comencini (1966)
est inévitable ; ce dernier mettant lui aussi en lumière l’enfance,
Incompresa semble alors en être la version féminine.
Après Le livre de Jérémie (2004), Asia Argento signe à nouveau un film du point de vue de l'enfance. La jeune Aria, 9 ans, interprétée par la prometteuse
Giulia Salerno, voit ses deux parents,
tous deux célèbres, se séparer. Coincée dans les tourments familiaux, elle est
ballotée entre sa mère, pianiste volage et instable, jouée par une Charlotte
Gainsbourg étonnante, et son père, un impulsif obsédé par la superstition,
interprété par une vedette italienne du petit écran, Gabriel Garko.
Asia Argento nous livre alors une
œuvre personnelle et touchante aux accents punk-rock : la bande originale,
les costumes et les couleurs du film, très travaillés et saturés nous plongent
dans les années 80, au cœur de la débauche d’une famille désordonnée. Aria,
alors abandonnée, délaissée, confrontée malgré elle à l’indépendance, promène
dans les rues un sac deux fois plus gros qu’elle, son chat noir et ses petites
jambes chétives sous des habits larges et bariolés.
Malgré cet aspect
mélodramatique, le film ne manque pas de ressort comique, notamment à travers
le monde d’Aria : sa chambre, assaillie de posters de George Michael et
autres boys bands et son journal intime, teinté de cœurs roses dessinés au gros
feutre. Cependant, les acteurs qui jouent ses parents forcent le trait de leur
personnage : ils sont tellement ignobles et enfantins qu’ils en deviennent
absurdes, ils forment alors le ressort comique principal du film. Les scènes
qui se déroulent à l’école sont également drôles et touchantes : les
enfants semblent tous des clichés vivants, à l’exception d’Aria, sorte
d’outsider, avec sa coupe garçonne et son style particulier, parmi tous ces
stéréotypes propices aux scènes comiques.
Des parents célèbres, un milieu
instable, un prénom étrangement similaire et une enfance envolée très
vite ; on ne peut pas s’empêcher de songer à l’autobiographie : mais
Asia Argento nous jure le contraire. Que penser alors de ce film ? La
jeune Giulia Salerno, nous attendrit par son grand regard bleu innocent
pourtant confronté trop tôt au monde des adultes. Et Charlotte Gainsbourg est
remarquable dans son premier rôle de « garce ». Ce film rythmé et coloré reste très touchant,
même s’il ne semble pas bouleversant et qu’on peut éprouver du mal à
s’identifier aux personnages, de par leur appartenance à un monde complètement
méconnu et insensé. Le titre du film prend alors tout son sens : Aria
reste L’Incomprise.
Camille.
Face à une double impossibilité, les souris deviennent folles.
En Mai dernier, Antonio Morabito sort en Italie son film Il Venditore di
Medicine, traduisez : Le Vendeur de Médicaments. On croirait, à
première vue, qu’il s’agit de l’histoire d’un petit pharmacien italien, un
petit film sympathique. Mais il n’est rien de tout cela, le sujet est grave,
très grave, puisqu’il touche tout individu tout en restant secret. C’est un
sujet qui soulève un problème, un problème de corruption, des problèmes secrets
que l’on cache à la population, mais que l’on refuse de voir. Ce film est une
fiction certes, mais tout ce qu’il y a dedans est vrai. On se dit, « Cela se
passe en Italie, cela ne se passe pas comme ça chez nous ! », et la polémique
sur le Médiator alors, l’avons-nous oubliée ? Les images de véritables journaux
télévisés au début du film sont là pour nous le rappeler. Cet homme, le Vendeur
de Médicaments, n’a rien d’un pharmacien, il vend des médicaments au médecin et
aux pharmaciens comme des produits de consommation. Il les force à les
vendre en les achetant, en les corrompant. Cela commence fort : par un suicide,
par une réunion marketing sur des médicaments…
Un homme ayant fait des
études de Vétérinaire vendant à des médecins des médicaments qu’il n’a
même pas testés sur 40 personnes ? Un homme utilisé comme une souris de
laboratoire par un médecin ? Des médicaments qui ne sont que des produits
marketing ? Des médecins qui acceptent de prescrire des médicaments, même
s’ils sont dangereux, à des patients en échange d’I-pads ou de voitures ?
Cela paraît-il absurde ? Eh bien non. Tout est là, dans ce film de
105 minutes, tout est dénoncé.
Mais à travers ce sujet
hautement polémique il y a aussi la destinée d’un homme, d’un homme manipulé et
manipulateur. Sa vie va basculer, le jour où il apprend que l’institut
pharmaceutique dans lequel il travaille veut renvoyer un certain nombre de
personnes, et le jour où il apprend qu’un de ses amis est victime d’un médecin
qu’il a fourni en médicament, que la vie de ce dernier a tourné au cauchemar
parce qu’il est devenu une souris de laboratoire. Cet homme est coincé, il est
lui-même une souris face à un choix décisif : continuer à vendre des
médicaments qu’il sait dangereux ou prendre le risque d’être licencié… ?
Au moment où il le souhaiterait le moins, il doit encore plus corrompre les
médecins, les pharmaciens, pour ne pas prendre le risque de se faire renvoyer.
On voit cet homme
évoluer au plus près de nous, la caméra est portée à l’épaule comme pour
signifier que tout fait partie du réel. Tout est réduit à l’extrême
essentiel : peu de musique, mais les bruits, les sons, les images du réel.
Cependant les images sont pures, d’une pudeur essentielle. On voit la vie de
cet homme se transformer peu à peu, il sombre dans les méandres de la
tristesse, jusqu’à corrompre sa propre femme. Le spectateur est lui-même
embarqué et, face à une question, il est lui-même confronté à un choix : devons-nous
détester cet homme auquel nous nous attachons ? Devons-nous détester cet homme
coupable mais pour qui nous éprouvons de la pitié, pour qui nous éprouvons de
la tristesse, de la compassion ? Là est le coup de maître du réalisateur.
Finalement cet homme est
aussi une victime du système, la vision manichéenne si chère à bon nombres de
cinéastes est ainsi repoussée. Cet homme ne sait pas ce qu’il vend, il n’a fait
que des études de vétérinaire, lui-même prend toutes sortes de
médicaments. Il est coincé, emprisonné dans ces longs couloirs blancs,
dans l’objectif de la caméra, et ne saurait s’échapper, il est emprisonné dans
le système, il sombre dans la folie. L’argent, est-ce donc la seule chose
que cet homme souhaite ? Peut-être que oui, peut-être que non, à
nous de répondre. Mais cet homme grave, qui perd pied, nous émeut, il a
besoin d’aide, mais personne ne saurait lui en donner, il n’arrive plus à
s’échapper.
C’est une histoire rocambolesque que celle de ce long métrage,
digne d’une production hollywoodienne. Sorti en mai dernier en Italie, il a
connu une grande polémique et ce fut difficile de le sortir. On peut compter à
ce jour 53 copies du film. Le projet du réalisateur était de faire un
documentaire, il a ainsi fait de nombreuses recherches dans des laboratoires
pharmaceutiques pour voir la réalité. Il a vu que le marketing gérait beaucoup
de choses dans ces cabinets pharmaceutiques, les produits étaient traités comme
de simples biens de consommation.
Un documentaire était
impossible, la fiction fut alors la solution, un moyen détourné et beaucoup
plus simple. Antonio Morabito a voulu ainsi faire des recherches dans des journaux
de recherches scientifiques, mais il a remarqué qu’ils étaient financés par des
laboratoires pharmaceutiques, les mêmes qu’il dénonce. Il n’a pas voulu
faire une enquête précise, « la reine » est par exemple un mot
inventé car chaque institut a sa manière propre de nommer celle-ci. Il eut
petit à petit les informations en se renseignant auprès de pharmaciens et de
laboratoires du Sud de l’Italie. On y voit ainsi toute la réalité, mais les
informateurs ont dû rester anonymes, cacher leur véritable nom, car certaines
informations ne pouvaient et ne devaient être délivrées.
Il y eut un consensus de
moult instituts pharmaceutiques qui ont critiqué le film, ont voulu le
censurer, et cela jusqu’aux États-Unis où la Zafer a envoyé un mail pour demander que ce film soit censuré. En
effet, Antonio Morabito a eu beaucoup d’informations de la part de cet institut
dans lequel le personnage principal du film travaille, mais d’autres instituts
l’ont défendu et cela a permis à ce film de fiction avec une dramaturgie
inventée mais qui s’inspire de la réalité de se réaliser.
Certains médecins l’ont
critiqué sans même l’avoir vu, disant que cela cassait la confiance entre les
patients et le médecin. L’Ordre des médecins a ainsi fait une lettre officielle
pour dire que le film était dangereux et que cela mettait en lumière des
rapports brutaux entre les médecins.
Toutes les classes
médicales se sont révoltées à sa sortie. Lors de la projection du film en
Suisse, le réalisateur a rencontré un responsable parlementaire de produits
pharmaceutiques, et ce dernier lui rapporta que cela se passait réellement
comme cela, et pourtant la Suisse est l’endroit où il y a le plus d’instituts
pharmaceutiques.
Pour traiter de ce sujet
grave, il ne fallait pas prendre les choses à la légère, il y eut ainsi
beaucoup d’essais avec le très bon acteur qu’est Claudio Santamaria qui s’est
fait remarquer pour son rôle dans Juste un baiser de Gabriele Muccino.
En effet, fréquemment le réalisateur et l’acteur n’avaient pas le même point de
vue sur les scènes, Claudio Santamaria restait souvent impassible. Ils ont fait
de nombreux essais avec Marco Travaglio, un journaliste réputé en Italie qui
joue le rôle d’un médecin dans ce film, le professeur Malinverni.
Relativisons néanmoins.
Les médicaments ne sont pas tous dangereux, mais il faut tout de même dire que
70% des médicaments que nous avons chez nous ne servent strictement à
rien. De plus, aujourd’hui, il y a beaucoup de contrôles, même si
certaines manières de les déjouer demeurent. Ce film n’incite pas à ne plus
consulter de médecins, il n’est rien de tout cela, les grands-parents du
réalisateur étant eux-mêmes des médecins. Les médecins ont un rôle nécessaire.
D’ailleurs, dans le film on voit qu’il y a de très bons docteurs en médecine
qui refusent de se faire acheter pour vendre les médicaments du personnage
principal. Par exemple, Antonio Morabito pense que l’homéopathie préventive
n’est pas quelque chose de mal, comme lorsqu’on l’utilise contre la fièvre,
mais beaucoup trop de médecins prescrivent encore du paracétamol et en oublient
la belladone.
En Italie ce film a été malgré
tout très bien reçu, et à la fin de chaque projection, des hommes, des femmes,
venaient raconter au réalisateur leurs expériences, car ce qu’il dénonce ce
sont des choses que nous savons, et si nous voulons le savoir, on le sait, mais
souvent on refuse de voir la vérité en face, on est face à ce film comme face à
un mur impénétrable.
Mégane.
« Pour l'amour de la différence »
Sebastiano Riso, Più buio di mezzanotte (Plus noir que minuit)
2014, 98' CF
2014, 98' CF
Récit au potentiel émotionnel
fabuleux, ce premier long métrage de Sebastiano Riso est inspiré d'une histoire
vraie : Davide Cordova (Davide Capone), un jeune garçon de 14 ans à
l'allure androgyne, est opprimé par un père (Vincenzo Amato) refusant la
personnalité féminine que son fils se forme. Ce film touchant, aux apparences
documentaires, rapporte la fugue de cet enfant du foyer familial et son quotidien
dans un monde qui rejette la différence. Il rencontre lors de sa fugue un
groupe d'homosexuels vivant de la prostitution et du vol, avec qui il va
survivre dans les rues atypiques de Catane.
À la fois mystérieux et pleinement
humain, ce monde de l'homosexualité et de la prostitution que Riso nous fait
découvrir n'a pas manqué d'émouvoir le public : se sont enchaînés au
Décavision les rires, les pleurs et les exclamations, au rythme du lyrisme de
la narration. La rage envers le père cruel, la désolation pour cet enfant
exclu, le bouleversement à la vue de ce monde miséreux et rejeté, et même une
certaine gêne vis-à-vis de ce mode de vie inhabituel mais bien réel... Tous les
sentiments y passent. Discrètement, quelques spectateurs ont sorti un
mouchoir...
Ce long métrage émeut car il incarne
une réalité, que le spectateur se prend en pleine figure. Rien de foncièrement
choquant n'est montré à l'écran, malgré un sujet amer. Tout tient refuge dans
l'atmosphère, mi-romantique mi-dramatique, que la musique de Michele Braga
illustre avec succès. Malgré tout, et nous pourrions même dire
« curieusement », le film a été censuré en Italie, à l’intention tout
d'abord des moins de dix-huit ans, puis des moins de quatorze ans. Il a eu
affaire à de nombreuses oppositions, et près d'une quarantaine de messages
insultants ont été envoyés à la chaîne productrice. Le réalisateur, qui s'est
exprimé après la projection, nous a confié avoir subi des attaques d'écoles religieuses
dans le but radical d’interdire la production du film. Complot ou affaire
morale, cette censure reste assez mystérieuse aux yeux de son auteur.
Riso rencontra Davide et son
histoire dans un aéroport. Pour le réalisateur, ce fut une révélation. Pour
trouver l'acteur parfait il enchaîna une quantité incalculable de castings.
L'acteur choisi, nommé aussi Davide, représentait tout à fait l'image que Riso
avait de son personnage : émouvant, au regard innocent du jeune garçon en
quête d’identité, tout en dégageant une grande intelligence.
Il est difficile de situer
temporellement ce chef-d’œuvre. Les vêtements, les rues, rien ne nous indique à
proprement parler l'époque dans laquelle nous sommes plongés. Riso termine
l'entrevue avec le public par les mots « Il n'y a pas de temps là où il
n'y a pas de changement ». Belle
conclusion pour un film riche de sens.
Romane.
Il Sud è niente de Fabio Mollo 90' 2013 CF
Poignant, saisissant, captivant... Les mots ne
manquent pas pour décrire le chef-d'œuvre du cinéaste italien Fabio Mollo,
intitulé Il Sud è niente.
Emmené par les acteurs Miriam Karlkvist, (il s'agit,
par ailleurs, de son premier rôle à l'écran), qui interprète le rôle de Grazia,
ou encore Vinicio Marchioni dans le rôle de Cristiano, le père de Grazia, ce
film transcrit le douloureux manque ressenti par la jeune fille, à la suite de
la disparition inexpliquée de son frère. Son père et sa grand-mère ne lui ont
jamais donné d'explications sur ce drame, c'est pourquoi la jeune fille est
hantée par cette absence. Un jour, lorsqu'elle se promène dans une fête
foraine, elle aperçoit le visage de son frère, qui disparaît aussitôt. Elle va
alors partir à sa recherche, avec l'aide d'un ami en dépit de la désapprobation
de son père.
Le spectateur va ainsi se questionner sur l'existence
réelle ou imaginaire de ce frère disparu tout au long du film.
On peut remarquer un énorme travail sur la qualité des
images, notamment les images filmées sous l'eau, qui sont d'une netteté
surprenante, ainsi que la manière de capturer les images, les détails à l'aide
de gros plans, de travellings... Cela retranscrit les sensations de manière intense,
et touche la sensibilité du spectateur.
Le jeu des acteurs est, dans ce film, d'une rare
précision, étant donné que beaucoup de scènes sont muettes, centrées seulement
sur les traits, les gestes et les attitudes des personnages.
Pour conclure, ce film est donc un véritable chef-d'œuvre,
dès les premières minutes et jusqu'à sa fin.
Alicia et Océane.
« Ce n’est pas
ton monde. »
Comment
parler de la vérité ?
Comment
la filmer sans la troubler ?
Finalement,
comment donner une essence personnelle à ce qui n’est pas de notre
ressort ?
C’est
ce que décident d’aborder Mario Brenta et Karine de Villier dans Corpo a Corpo.
Cinq
semaines. Une caméra. Et la troupe de Pipo Delbono qui vit devant eux.
Les
orchidées se courbent face au vent et elles explosent : « Chacun devrait être ce qu’il est ».
C’est
un grand conte d’histoires communes et personnelles sous les yeux attentifs du
botaniste. Sa passion pour ceux qui « ne sont pas encore vaincus » et puis, lui aussi il crie et il
parle d‘amour et de Roméo et Juliette et de tout ce qui se passe dans le monde
parce que c’est cette maladie du mensonge et de l’apparence qui a tué Épitre.
L’orchidée
ne fane jamais, symbole de l’impératrice, loin, en Chine dans l’éternité de
cette énergie qui emporte les corps des comédiens, c’est un « corpo à corpo » entre eux et le
monde.
Le film
comme une capture d’image aussi, pour rendre immortelle la force des improvisations.
La vérité est donnée dans le moment. Mais ne faisons pas d’amalgame, ce film
n’est pas une copie conforme de la pièce : la plupart des éléments
présents n’ont pas été retenus pas le metteur en scène. Un processus créatif, deux
fins très différentes, le cinéma et le théâtre, deux corps à corps avec la
vérité, deux résultats.
Les
orchidées sont belles, étranges nénuphars au bout d’une tige. « Les seules
personnes dignes devraient être des fous. »
Les orchidées sont-elles folles ? Dimension dramatique, des corps mangés
par la lumière, des esprits troublés, nous sommes dans le navire des fous de
Bukowski, nous sommes hors du temps, nous sommes des géants alors « s’il
vous plait, sauvez-moi de ces visages polis, de cette diction parfaite. »
Et
enfin tout ce qu’il y a autour, des gestes et des paroles humains parce qu’ils
sont drôles et parce qu’ils sont vrais.
Bolgia
totale de Matteo
Scifoni : un film « noir », mais avec de l'espoir.
J'ai
été épatée, en tant que spectatrice, par ce film de Matteo
Scifoni. Il s'agit principalement de suivre deux protagonistes qui
semblent tout d'abord totalement opposés : Quinto est un
inspecteur de police proche de la retraite, et Michele Loi un jeune
trafiquant de drogue à tendances psychopathes. Quinto, après avoir
malencontreusement laissé le malfrat échapper à sa vigilance, est
chargé de le retrouver pour le faire arrêter. S'en suit alors toute
une « course-poursuite », mais pas à la manière
habituelle d'un film du genre policier ou d'un film d'action. Le
spectateur suit de près ces deux personnages, entrant dans la vie
la plus intime de chacun d'eux. Il nous apparaît que ceux-ci,
finalement, sont
liés : ils baignent dans les mêmes problèmes d'addiction aux
drogues et à la nicotine et ont les mêmes problèmes d'argent. Au
fil du film, nous nous rendons compte que quelque chose les relie
étroitement. Eux-mêmes, au fil du film, se rendent compte de cette
ressemblance ; une réplique de Michele Loi, joué par Domenico
Diele, est a mon avis très représentative de cette prise de
conscience. Alors que l'inspecteur l'appelle pour lui demander de se
rendre à la police, celui-ci dit : « siamo uguali, nonno »
("nous somme pareils, papy").
Il s'agit ainsi de souligner que, malgré leurs différences d’âge et de
statut qui
semblent les opposer, ils sont sur le même bateau, si l'on peut
dire, celui d'une vie semée de difficultés et qui penche vers la
déchéance. Le policier est sur le point de se faire renvoyer et il a de
nombreux problèmes d’argent tandis que Loi est sous pression car la drogue qu’il devait vendre a été confisquée par la police.
Il est très émouvant de voir ces deux personnages qui devraient se déchirer, selon tous les stéréotypes, se lier d'une amitié, qui reste tout de même implicite et inavouée. Le réalisateur, d'ailleurs, nous confia pendant la rencontre qu'il avait volontairement choisi de mettre en scène des personnages stéréotypés pour ensuite pouvoir dépasser ces mêmes stéréotypes. Et la fin du film, en effet, dément le spectateur en réalisant en partie le contraire de ce à quoi nous nous attendions.
Un autre personnage que j'ai trouvé très intéressant est l'Albanaise muette pour laquelle Michele Loi ressent des sentiments. En effet, ce choix de représenter une âme-sœur muette pour le protagoniste semble singulier. Lorsque nous avons posé la question à Matteo Scifoni, celui-ci a répondu qu'il s’agissait d'une dimension en quelque sorte ironique et qu'il était intéressant de filmer une telle situation : le protagoniste à tendance psychopathe ayant besoin de parler énormément, cette situation est très frustrante pour lui, ce qui engendre un comique de situation, tranchant avec la noirceur générale du film.
Il est très émouvant de voir ces deux personnages qui devraient se déchirer, selon tous les stéréotypes, se lier d'une amitié, qui reste tout de même implicite et inavouée. Le réalisateur, d'ailleurs, nous confia pendant la rencontre qu'il avait volontairement choisi de mettre en scène des personnages stéréotypés pour ensuite pouvoir dépasser ces mêmes stéréotypes. Et la fin du film, en effet, dément le spectateur en réalisant en partie le contraire de ce à quoi nous nous attendions.
Un autre personnage que j'ai trouvé très intéressant est l'Albanaise muette pour laquelle Michele Loi ressent des sentiments. En effet, ce choix de représenter une âme-sœur muette pour le protagoniste semble singulier. Lorsque nous avons posé la question à Matteo Scifoni, celui-ci a répondu qu'il s’agissait d'une dimension en quelque sorte ironique et qu'il était intéressant de filmer une telle situation : le protagoniste à tendance psychopathe ayant besoin de parler énormément, cette situation est très frustrante pour lui, ce qui engendre un comique de situation, tranchant avec la noirceur générale du film.
Au-delà de la personnalité des personnages, très recherchée et
attachante, il faut souligner les très grands efforts de
réalisation. Le réalisateur et les producteurs nous signalent qu'il
s'agit du premier film de Matteo Scifoni, et que le film a dû être
réalisé à petit budget et en peu de temps. On ne peut donc que
féliciter toute l'équipe d'avoir produit une telle œuvre
cinématographique. Et, en plus du scénario très travaillé,
l'actrice Xhilda
Lapardhaja,
qui joue l'Albanaise muette, pour s'imprégner de ce rôle difficile,
a dû demander l'aide d'un sourd-muet pour apprendre le langage des
signes et les perceptions très spécifiques de ces personnes en
quelques mois.
Lors
de la rencontre d'après-séance, le réalisateur, timidement mais très
aimablement, nous a confié sa joie de présenter son film en France
et livré sa conception de ses propres personnages. Il a beaucoup insisté
sur le caractère volontairement archétypé de ses personnages,
notamment de Michele Loi, le « bandit héroïque », une
sorte de héros romantique. Ce personnage, qui nous paraît agressif,
dangereux car psychopathe et en marge de la société, se révèle
n'avoir pas un si mauvais fond.
Il confie sa volonté de rendre un hommage à Serge Leone avec un personnage qui s'apparenterait en quelque sort à une brute et explique qu'il s'est inspiré de plusieurs réalisateurs dont Tony Scott à qui il aurait « volé » l'idée d'un personnage qui a des fantasmes récurrents (puisque Michele Loi voit apparaître à plusieurs reprises un homme qui lui donne des conseils dans sa tête).
Il confie sa volonté de rendre un hommage à Serge Leone avec un personnage qui s'apparenterait en quelque sort à une brute et explique qu'il s'est inspiré de plusieurs réalisateurs dont Tony Scott à qui il aurait « volé » l'idée d'un personnage qui a des fantasmes récurrents (puisque Michele Loi voit apparaître à plusieurs reprises un homme qui lui donne des conseils dans sa tête).
En
conclusion, je suis ravie d'avoir participé à une séance de ce
film que je reverrais volontiers une plus tard, ne serait-ce que pour
les émotions qu'il suscite en nous. Les spectateurs ont eu des moments
d'émotions fortes, voire de stupeur à certains passages du film qui
en ont fait sursauter beaucoup, et surtout nous ressentons un fort
attachement pour les protagonistes. Je conseille vivement ce film à
tous les spectateurs avides de films « noirs » ou de
« polars », en soulignant le fait que tout n'est pas
tragique et noir dans ce scénario, il y a toujours une nuance d'espoir qui fait que
nous ne sortons pas « anéantis » de notre séance de
cinéma.
Charline.
Alice RORWACHER, LE MERAVIGLIE
19h : il y a foule au cinéma de Novel ! La file d'attente ne peut
être contenue dans le hall. Finalement, la salle ne pourra accueillir tout le
monde et ce n'est pourtant pas faute d'avoir rajouté des chaises en plus... Un
très beau succès pour cette séance de pré-ouverture, donc.
19h45 : petit (long?) discours pour le lancement du festival. On
applaudit. La présidente de la MJC s'essaye à la langue italienne, on rigole.
Salvador Garcia (directeur de Bonlieu) nous confirme que le prochain festival
se tiendra dans les murs de Bonlieu, on s'en réjouit. Jean Gili (directeur
général du festival) excuse la réalisatrice du film, Alice Rohrwacher, et sa
sœur (protagoniste dans le film) de leur absence ce soir, on est déçu (mais que
faire face à la concurrence des autres festivals, qui plus est en Corée ?
On pardonne).
Ça, c'était pour le protocole.
Le film, ça donne quoi ?
Avertissement : cette critique essaye, dans la mesure du possible, de
ne pas dévoiler l'intrigue, mais ne peut pas ne pas s'y référer. Aussi je ne
peux que vous conseiller d'aller voir le film « l'esprit vide » (les
lieux et les horaires de projection sont à la fin de l'article).
Car au fond, oui, c'est bien le film qui nous intéresse (buffet
hors-concours) ! Le film s'ouvre sur les beaux plans de nuit de lueurs qui
s'avancent vers nous, pour petit à petit laisser entrevoir des chasseurs sortir
de leurs 4X4. Les premières minutes plantent efficacement un décor
atypique : une ferme délabrée où la famille de Gelsomina se débrouille
pour faire fonctionner son activité d'apiculture, sous l'autorité du pater
familias (qui, à la longue, aura exaspéré plus d'un spectateur, c'est bien,
il est dans le rôle).
Le Meraviglie a plusieurs
atouts de son côté : excellente direction d'acteurs, amateurs pour la
majeure partie (un chapeau pour les enfants, tous parfaits), un décor atypique,
qui offre de très belles scènes (Gelsomina et son père essayant de fixer une
ruche à un arbre plein d'abeilles), une belle photographie, etc. Surtout Le
Meraviglie, film assez inégal selon moi, est dès lors le théâtre de
quelques très belles scènes : celle de la ruche donc, les plans sur le
chameau que le père offre maladroitement à Gelsomina, un superbe raccord reflet
dans l'eau/reflet de miroir (pour ceux qui ont gardé les yeux grands ouverts),
la scène, envoûtante, étrange, surprenante et poétique à la fois, où Gelsomina
fait sortir une abeille de sa bouche, et j'en oublie. En d'autres termes, le
film ne manque pas de qualités, surtout techniques et esthétiques.
Toutefois, si le charme opère lors de ces scènes clés, le film dans son
ensemble me laisse un peu sur le bord du chemin. La faute, peut-être, à un
scénario qui manque de tensions, d'enjeux dramatiques susceptibles de nous
emporter, à un scénario qui justement voudrait nous emmener sur plein de
pistes, mais finit par s'éparpiller et se perdre en chemin... Si bien qu'il
peine à refermer toutes les pistes empruntées au cours du film, et choisit
finalement la solution de la fin ouverte, peut-être un peu facile ici (je
précise que je n'ai rien contre les fins ouvertes, mais certaines sont plus
réussies que d'autres : No Country for Old Men, The Ghost Writer, Le
Ruban blanc pour citer des exemples assez récents). Pour ma part, le
littéraire que je suis ne peut s'empêcher d'y voir une référence à la caverne
de Platon. J'ai toute une théorie là-dessus, mais ça sent la déformation
professionnelle...
Pour résumer, un film
intéressant, très intriguant, qui prend justement le parti-pris intelligent de
ne pas tout dévoiler au spectateur. On a une œuvre qui est de très bonne
facture, à défaut d'être réellement marquante ; on suit poliment le cours
des événements. Est-ce moi qui avais fixé trop haut mes attentes sur ce film
(le Grand prix récolté à Cannes y est peut-être pour quelque chose...) ?
Toujours est-il qu'il constitue une curiosité dont on aurait tort de se
priver !
Bien sûr, cet avis ne concerne que moi, je vous invite à lire les articles
de mes camarades ô combien éclairés pour prêter l'oreille à d'autres opinions.
Les séances des projections :
Le film s'inscrit dans une tournée départementale, en partenariat avec le
Conseil général.
Jeudi 9 octobre, à Saint-Jorioz (CDPC)
Vendredi 10, à Cusy (Cinébus)
Samedi 11, à Chamonix (VOX)
Dimanche 12, à La Roche-sur-Foron (au Parc)
Lundi 13, à Doussard (CDPC)
Mardi 14, à Cluses (Cinétoiles), Sciez (CDPC), Talloirs (CDPC)
Jeudi 16, à Rumilly (La Concorde), Saint-Gervais (CDPC)
Vendredi 17, à Thorens (au Parnal)
Samedi 18, à Annemasse (Cinéactuel).
Sinon, il faudra attendre sa sortie nationale sur les écrans français cet
hiver...
Melen
Buongiorno
Taranto
Paolo Pisanelli
CD 2014, 85’.
Mais quelle est cette
poussière ?
Le soleil ? La mer ? Non … La sidérurgie !
C'est la dolce vita au
nitrate, tu cours, tu vis, tu respires ; mais parce que tu respires, tu
meurs. Et boum ! La fumée de ton propre travail te tue.
Buongiorno Taranto !
Les murs ocres de la vieille ville, les usines, les ouvriers, la lumière le mouvement et tout n'est que
rien, la perle des Puglia, entité de la modernité, attire les hommes de partout
pour finalement les étouffer. Finalement, une forme d'échec pour notre
société :
Une
ville et des hommes déchirés face au dilemme « La santé ou le travail ? »
Et que choisir ?
Alors,
on choisit de vivre. On est dans l'eau, rien ne bouge : tout le monde
attend que tout s'arrange, mais rien ne change. Et puis on sort et le clapotis
des vagues devient un cri : « e ora che cose fatto ? »
La ville, la lumière et le mouvement se transforment en un flot d'images
qui se déverse sur nous, nous avalant de toute sa puissance. En fait, ce qui
est le plus marquant, c'est cette volonté
de se dresser face à la paralysie générale. Ce choix de ne pas
abandonner. La beauté de la force comme une ode pour ceux qui se battent et qui
respirent à en mourir.
Un
élan de joie et de colère.
La
traversée d'une ville.
Mais
qu'ils courent ! Qu'ils vivent ! Qu'ils respirent !
Pauline.
LE MERAVIGLIE d’Alice
RORWACHER
Le Meraviglie ou Les
Merveilles d’Alice RORWACHER a été récompensé cette année à Cannes du prix
spécial du Jury. Il raconte l’histoire d’une jeune fille, Gelsomina, qui vit
dans une famille d’apiculteurs. Ils sont sept dans la maison : les quatre
filles, la mère, Coco et le père. Le père de Gelsomina, entouré de
femmes, rêve d’avoir un fils. Il va le trouver dans le jeune délinquant
Martin que la famille accueille pour trouver un peu d’argent. Devant remplacer
son laboratoire, elle va, en dernier recours, participer à un jeu télévisé afin
de payer ses dettes.
Ce film rend perplexe. Il a
tendance à se cacher. Le spectateur y est directement immergé dans la vie des
personnages qui ont à plusieurs moments tendance eux aussi à se cacher de ce
spectateur lors de moments un peu plus intimes ou bien au sujet d’éléments dont
ils ont honte. Dès la première scène, la sœur du personnage principal est gênée
par le regard de sa sœur (et le nôtre ?) pour faire ses besoins. Un peu
plus tard, lorsque, un œil au beurre noir, Gelsomina essaie de le cacher, ses
mains ne le cachent pas aux autres personnages mais à nous, spectateurs, qui ne
l’ignorons pourtant pas.
À cela s’ajoute la solitude des
personnages : le père dort dehors seul au milieu de sa cour. Un plan large
nous montre la distance qui sépare les personnages du monde alentour. Ils sont
seuls dans un désert mais un désert qu’ils conservent car le père essaie de
faire fuir les chasseurs qui rompent leur tranquillité. Une variante de cette
scène revient à l’avant-dernier plan du film où, cette fois-ci, c‘est toute la
famille qui dort au milieu de la cour. Finalement, cette famille n’est pas réduite
à la solitude : tous s’entraident face aux difficultés de la vie.
Malgré cet isolement, ils tentent
de nouer un lien avec le monde moderne afin de régler leur problème et affrontent
la réalité de ce monde à travers le jeu télévisé qui les emmène sur une île en
bateau. Cette scène nous montre le reflet des bateaux dans l’eau : l’entrée
dans un autre monde. Un autre monde qui les déconcerte. Ils ne comprennent pas
trop ce qui leur arrive et, malgré quelques mots qui retiennent l’attention,
les paroles incomplètes du père : « C’est la fin du monde » soulignent
que leur monde se détruit. Le don de Gelsomina n’est applaudi que par certaines
personnes car trop en rupture avec cet autre monde. Finalement, c’est effectivement
une victoire : malgré leur marginalité, ils montrent leur désir d’intégrer
ce nouveau monde dont la nouveauté les oppresse petit à petit.
Ce que souligne le traitement du
son lors de la scène où sont présentées les modifications à faire dans le laboratoire :
les petites filles qui jouent dehors et tapent sur le mur ; ce qui nous
gêne à la manière dont les protagonistes sont gênés par les travaux à faire
d’après la nouvelle loi. Cette thématique de l’extérieur qui les oppresse
revient souvent : l’arrivée des pesticides qui tuent les abeilles ou bien
les touristes qui viendraient envahir les lieux. Finalement, le dernier plan,
plein d’intérêt, montre les lieux délabrés, ce qui laisse penser que la famille
a perdu son combat pour garder son mode de vie. Mais cela montre aussi que la
maison n’a pas été détruite et qu’elle recèle probablement la « capsule
temporelle » dont les personnages ont parlé en toute fin. Et nous invite à
chercher pour découvrir le vrai monde qui se tient derrière les carreaux,
derrière ce qu’on voit, les décors touristiques, le feu et les ombres de la
caverne.
Le cœur du film, c’est Martin,
le jeune délinquant que la famille accueille. Ce personnage ne parle pas,
refuse qu’on le touche, et parfois siffle. Comme s’il incarnait la part
masculine de Gelsomina, qui représentait dès le début le membre le plus
masculin du film, avec la volonté de voir des choses nouvelles. Tout en s’accomplissant
elle-même, elle devient le fils que son père souhaite, comme le souligne le
plan dans la caverne, en référence à Platon, où les deux personnages s’enlacent
face au feu. Cela explique aussi qu’au retour à la maison Martin ait disparu alors
que Gelsomina, qui en était auparavant incapable, se met à siffler. Ainsi après
un voyage hors de la caverne dans lequel les deux personnages se cachaient, ils
s’unissent dans la même personne : Gelsomina
Finalement, Le Meraviglie est un film que je vous invite à voir pour sa force
symbolique et pour sa qualité d’interprétation. La discussion à son sujet est
ouverte puisque c’est un film qui donne à penser et à échanger : je vous
invite donc à chercher le motif dans ce tapis immense qu’est Le Meraviglie.
Tanguy.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire